jeudi 23 juin 2011

& INTERVIEW - Arthur de Pins


Arthur de Pins, auteur de BD dont je vous ai parlé en mars dernier, a récemment reçu le Prix du Truc d'Or au festival de bande-dessinée de Lyon pour le premier tome de La marche du crabe.



 Cette série, précédée et inspirée d'un court-métrage,  nous conte l'histoire d'une espèce de crabe au destin particulièrement lamentable : en effet, le crabe carré ne peut pas tourner. Vous avez bien lu, il est bloqué en marche avant-marche arrière, et est donc la risée du monde marin, ce qui donne un album touchant et cocasse à la fois, et rend impatient de connaitre la suite (prévue pour la rentrée).

J'ai donc eu le bonheur d'interviewer l'auteur de La marche du crabe, mais aussi de Zombillénium et de Péchés mignons dont je vous avais parlés dans l'article susmentionné ! Voici le résultat de cet échange pour le moins enrichissant :


AdY : Avec vos nouvelles séries La marche du crabe et Zombillénium, vous vous êtes éloigné des thématiques sexy pour lesquelles vous êtes maintenant connu et reconnu dans le monde de la BD contemporaine. Overdose de vos personnages phares, envie de changement ou êtes vous simplement orienté vers d'autres idées ?

Arthur de Pins : Un peu des trois. Disons que la thématique érotique/humour n’est pas inépuisable, et puis Péchés Mignons est un petit succès qui m’est tombé dessus un peu par hasard. J’ai pris beaucoup de plaisir à réaliser ces 4 tomes, mais mon désir de faire de la BD d’aventures a finalement repris le dessus.



AdY : Combien de tomes Zombillénium va-t-il compter ? Chaque tome sera-t-il axé sur un personnage comme le premier se centre sur Gretchen ?

Arthur de Pins : Il y a pour l’heure 4, voire 5 tomes de prévus avec une fin prévue elle aussi, un peu comme un cycle qui se boucle. En effet, le rôle du protagoniste va tourner : dans le tome 2, ce sont davantage Francis, le vampire qui dirige le parc et Sirius, le squelette délégué du personnel, qui seront mis en avant. Je souhaite que le personnage principal soit le parc lui-même, même si au cours des 4 (ou 5) tomes, il y a un peloton de tête.



AdY : D'où vous est venue l'idée du parc d'attraction macabre de Zombillénium ? et celle des crabes au chemin linéaire ?

AdP : A l’origine de Zombillénium, il y a eu ce coup de fil de Frédéric Niffle, rédacteur en chef de Spirou, qui m’a passé commande, il y a 3 ans, d’une couverture spécial Halloween. Tout excité que j’étais de renouer avec l’univers fantastique et les monstres, je lui ai pondu ceci:




Il s’est alors passé quelque chose d’incroyable : Fred me propose carrément d’en faire non pas une histoire courte, non pas un album, mais carrément une série. Tout seul. Comme ça. Je ne lui serai jamais assez reconnaissant de m’avoir donné le feu vert. Seulement, n’étant pas un passionné du genre littéraire ou cinématographique vampires ou zombies, j’ai voulu ajouter un décalage : la vie d’entreprise. Les monstres, c’est encore mieux quand ils se retrouvent devant une machine à café.

L’idée des crabes m’était venue il y a plus longtemps, alors que je cherchais un scénario de court-métrage. Tout comme pour Spirou, c’est cette fois mon producteur, Jérémy Rochingneux, qui m’a poussé dans une voie nouvelle et décalée. Il m’a dit « ras le bol des courts métrages intimistes, t’as pas une idée…je sais pas, moi… avec des animaux ? ». Je lui ai ressorti Les Crabes du placard et cela a abouti à ce court-métrage, devenu projet de série (avorté) , puis projet de long-métrage (en stand-by), puis enfin BD.

La leçon de ces deux albums, c’est que le rôle des éditeurs ou producteurs n’est pas seulement d’attendre que l’auteur leur balance des projets sous le nez, mais parfois de les « provoquer » pour qu’ils accouchent de quelque chose de nouveau. Une métaphore de très mauvais goût compare souvent le producteur au papa et l’auteur à la maman, qui porte le projet à maturation. Ce n’est pas complètement faux.




AdY : Si chacune de vos séries devait avoir un hymne ou une bande originale, quels seraient-ils ?

AdP : Pour les crabes, je pense à un mix entre l’Internationale et la (vieille) musique du générique de Thalassa. Quant à Zombillénium, ce serait du heavy metal bien sataniste sur les bords !

 AdY : Vous avez récemment parlé d'un nouveau projet à venir avec Fluide Glacial, pouvez-vous nous en dire plus ?

AdP : Alors en fait, c’est trop peu développé dans ma tête pour que j’en parle. Ça n’en est qu’au stade embryonnaire, mais dès que je connais le sexe de l’enfant, je te le fais savoir ! (Et hop, on continue dans la métaphore maternelle…)



AdY : J'y compte bien ! Sinon...Vous travaillez exclusivement sur Illustrator pour créer et finaliser vos dessins. Pourquoi privilégier ce medium ? Comptez-vous utiliser d'autres mediums pour de futures séries ou illustrations ?


AdP : Illustrator est pour moi l’outil de dessin par excellence, dans la mesure où l’on a un contrôle total sur le trait et les formes. Peu de dessinateurs BD l’utilisent et je trouve ça dommage. Bien sûr, les adeptes du « trait fougueux » n’apprécient guère le côté mécanique du vectoriel. On retrouve le même affrontement qu’entre les peintres romantiques et néo-classiques au XIXe : la fougue contre le flegme, et tout le cortège de discussions stériles qui vont avec. Imagine qu’en musique, les Têtes Raides critiquent Daft Punk sous prétexte qu’ils utilisent des logiciels. Impensable, non ? …En BD, si !

AdY : Ces préjugés n'ont-ils pas causé de difficultés au début de votre carrière d'auteur ?

AdP : C'est vrai qu'au début, mes collègues étaient un peu dubitatifs. Non seulement à cause de la technique et de l'absence d'originaux (il y a un culte du trait sur papier en BD, voire un fétichisme de la part de certains collectionneurs. Chose qui n'existe pas dans le dessin animé par exemple, où c'est le produit fini qui compte), mais aussi parce que je n'avais pas le parcours-type de l'auteur de BD, à savoir : fanzines=>publications dans des petits magazines=>premières planches=>collectifs=>séries, etc...). J'arrivais directement de l'illustration et de la pub et ma permière BD (Péchés Mignons 1) s'est bien vendue, donc cela m'a valu quelques railleries. Heureusement, les auteurs transfuges qui débarquent d'autres horizons sotn de plus en plus nombreux et le cliché du dessinateur alternatif-rock-bière a tendance à s'effriter.



AdY : Y aurait-il un ouvrage en particulier que vous souhaiteriez conseiller aux lecteurs du blog ?

AdP : Le meilleur album que j’ai lu dernièrement est Quai d’Orsay de Christophe Blain. Cet auteur a un talent incroyable pour faire bouger ses personnages. Dans ses albums, les mouvements du corps sont aussi expressifs que tout le reste. Qualité que l’on retrouve aussi chez Catherine Meurisse (Mes hommes de lettres).



AdY : L'oeuvre dont vous auriez aimé être l'auteur s'il en est une ?

AdP : L’œuvre dont j’aurais aimé être l’auteur n’est pas une BD, mais un album-concept qui est aussi un film et un dessin animé. Il s’agit de The Wall de Pink Floyd. C’est à la fois intimiste et universel. Ça parle de l’isolement, des trauma d’enfance, de rébellion, de la vie d’adulte, et tout ça, de manière poétique et visionnaire. L’image des marteaux qui défilent : quelle idée de génie ! Un pur chef d’œuvre animé par un autre génie : Gerald Scarfe. A l’issue du concert de Roger Waters le mois dernier à Bercy, je suis ressorti content mais un peu triste en me disant : « Bon, bah, ça, ça a été fait. Que me reste-t-il ? »

Couverture du tome 2 de Zombillénium

Un grand et indénombrable MERCI à Arthur de Pins d'avoir répondu à ces quelques questions, et rendez vous à la rentrée pour les prochains tomes des Crabes et des aventures en territoire Zombie !



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